Né en Picardie la veille du premier tour des Présidentielles qui verront la première victoire de François Mitterrand, aujourd’hui parisien et cadre supérieur, Alexis ne semble pas être l’archétype du yamakasi, prêt à braver les obstacles pour réaliser le cliché documentaire qui sort de l’ordinaire. Pourtant, ce passionné d’histoire a commencé sa vie en s’exerçant à la prospection archéologique, dans sa région natale, riche de voies commerciales antiques et médiévales.
Amoureux du challenge, et souhaitant transmettre une conscience historique contemporaine à ses deux enfants, Alexis, en changeant de région, modifie ses perspectives, élargit ses horizons et s’attache à l’exploration de lieux urbains - mais pas seulement - iconiques de l’évolution trop abrupte et probablement irrémédiable d’un paysage qu’il affectionne, et dont il souhaite entretenir la superbe.
Une fois ôté le costume professionnel, il enfile baudrier et autre nécessaire d’exploration et arpente les routes de France et d’Europe à la recherche de l’oublié. Ces expéditions sont le théâtre de rencontres, aussi atypiques qu’enrichissantes. Que ce soit lors de petits déjeuners dans des relais routiers, où il découvre les coulisses de l’abondance de nos étalages commerciaux, ou dans de petits villages, où les « anciens » lui racontent le pourquoi du comment et les détails de la gloire d’antan, Alexis s’enrichit un peu plus chaque jour et se rend à l’évidence que ces lieux, ces instants et ces rencontres doivent être immortalisés. C’est alors que l’appareil photographique rentre dans son équipement.
Très vite, la sincérité qu’il met dans sa démarche se ressent dans ses photographies et son entourage le pousse à aller plus loin. Bien qu’utilisant un appareil numérique (Canon 70D) et maîtrisant toutes les technologies de pointe, de par sa carrière dans l’informatique, Alexis ne travaille que peu ses clichés a posteriori, son œil perçoit les lumières, les angles et des compositions émergent naturellement. Il démarre ainsi un blog : Skip’s Place, tel un journal de bord de ses explorations, qu’il agrémente de ressentis et de citations. Rencontrant un véritable succès, il décide de passer de la vitrine sur le net à celle d’une galerie, et s’installe à la ΠJAMA Galerie pour présenter sa première exposition : Recherches du temps perdu.
Mais à 34 ans, et à peine exposé, Alexis a déjà de nouvelles perspectives et prépare un travail sur Tchernobyl, dont nous commémorerons le 30ème anniversaire en 2016. Ce ne seront pas seulement les lieux dévastés vers lesquels il orientera son objectif, mais aussi sur une population oubliée, pour laquelle les conséquences de cette catastrophe demeurent une tragique routine.
Exposition à la Pijama Galerie
"A la Recherche du temps perdu"L’urbex - exploration urbaine - à la manière d’Alexis peut aisément s’inscrire au confluent de la dimension documentaire d’Eugène Atget et du courant de la Nouvelle Objectivité, dont Alexis a indubitablement fait sienne la revendication de son chef de fil - le photographe allemand Renger Patzsch - pour qui : « seule la photographie peut rendre par l’image la rigueur des structures de la technique moderne (…) Le rendu absolument véridique des formes la fait supérieure à tous les moyens d’expression, la finesse des gradations de tons, depuis la lumière la plus éclatante jusqu’aux profondeurs des ombres les plus noires, donne à la photographie maîtrisée techniquement le charme magique de l’événement vécu ».
Un siècle plus tard, dans des décors urbains transfigurés, Alexis explore, déniche et capture des instants de vie passés. Dans son travail, tout est détail, sans mise en scène no composition artificielle. La structuration de l’image se fait grâce à la lumière, qu’il utilise au maximum de ses possibilités. Ainsi, pas de déformation, pas de faux-semblant : c’est la réalité qui est photographiée. Si Atget photographiait presque compulsivement tout ce qu’il voyait disparaître, Alexis lui s’attarde, avec une démarche esthétique similaire, à répertorier ce qui a disparu et les stigmates qui ont été laissés. Dans une période de crise où les productions locales tendent à disparaître, les décors industriels - qui ne sont pas sans rappeler les travaux de Berndt et Hilla Becher - frappent les esprits, mais la force qui se dégage de certaines œuvres trahit une sensibilité exacerbée de l’artiste - comme cet ourson abandonné, symbole d’une enfance perdue - qui transforme véritablement ses explorations en témoignages documentaires. Grâce à des compositions des plus neutres possibles, en ne s’appuyant que sur l’existant, Alexis se pose en témoin d’une époque en pleine mutation, et invite le regardeur à s’interroger sur nos mœurs et leurs évolutions, faisant de l’abandon, voire de la désolation, une œuvre à la fois esthétique et poignante.
Pour aller plus loin dans son invitation à la réflexion, Alexis, dans Recherches du temps perdu, accompagne son travail photographique de textes et de citations et impose une chronologie à l’accrochage, incitant l’amateur à se projeter. Ainsi, il choisit une vision chiasmatique qui entremêle le temps de l’enfance et des loisirs et celui de l’âge adulte et du travail. Enfin s’oppose la finitude de la vie, tant matérielle que physique. Si la vitrine, elle, invite plus à l’appréciation de scènes dans leur singularité, elle n’obstrue pas la vision (même de l’extérieur de la galerie) du cheminement de l’artiste.